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Mshika-Shika / The Hustle (Afrique du Sud, 2012)

24 dimanche Sep 2017

Posted by Greg in Mini-série

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Afrique du Sud, Arthur Molepo, Athos Kyriakides, Busisiwe Mtshali, Cop-show, crime organisé, David Clatworthy, K.Dom Gumede, Lamar Bonhomme, Michelle Wheately, Mxolisi Majozi, Polar, Richard Lukunku, Terri-Ann Eckstein, Thato Tteigh Dhladla III, townships

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Comme bien d’autres productions sud-africaines, Mshika-Shika est un minisérie qui n’a pas fait beaucoup parler d’elle en dehors de son pays d’origine. On trouve sur le web très peu de renseignements à son propos, même la page qui lui est dédiée sur IMDb est étrangement vide. Mais après avoir lu le synopsis, j’ai été suffisamment intrigué pour commander le DVD qui, heureusement, comprend des sous-titres en anglais (il ne m’a pas été facile de trouver les sites où se le procurer, mais ce fut possible en persévérant). Une édition DVD qui se contente du strict minimum: les épisodes accessibles par un menu sommaire, aucun bonus ni interview. Cependant, je ne regrette pas mon achat, car ce fut une fiction distrayante, avec un final surprenant. En 10 épisodes de 45 minutes, filmée à Johannesburg, c’est l’histoire d’un gang qui sévit dans un township où règne la loi de la jungle et se retrouve dans le collimateur de la police, tout en bénéficiant de la protection de certains membres des forces de l’ordre. Créée par Michelle Wheately et scénarisée par Athos Kyriakides, c’est une fiction nerveuse et parfois violente, qui a été comparée à The Wire et à Luther (ici, la seconde référence est sans doute plus pertinente, Mshika-Shika est tout de même loin de rivaliser avec le chef-d’œuvre  de David Simon).

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Dans l’épisode initial, on découvre les membres d’un gang dont la réputation n’est plus à faire, avec à sa tête Scarra (Mxolisi Majozi), entouré de ses deux comparses Judas (K.Dom Gumede) et Mafikizolo (Thato Tteigh Dhladla III). Ils viennent de réussir un joli coup, en dérobant une BMW neuve stationnée dans un quartier huppé. Propriété d’un politicien âgé qui a le bras long, le véhicule est activement recherché par la police, en particulier par Phaka (Richard Lukunku), un détective motivé à faire tomber Scarra et sa bande, secondé par une spécialiste de médecine légale, Kea Thole (Terri-Ann Eckstein). Cependant, Phaka se heurte vite à son supérieur, le commandant Schoeman (David Clatworthy) qui semble d’emblée réticent à le voir s’investir dans cette enquête et lui suggère de s’occuper d’autres affaires selon lui plus urgentes à élucider. Mais le jeune flic intrépide garde le cap, malgré la promesse d’une promotion éclair que lui fait miroiter Schoeman. Ses investigations le mettent rapidement sur la piste de Bonsai (Arthur Molepo), pour la vitrine un paisible commerçant de pièces détachées automobiles, autour duquel les malfrats gravitent.

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Bonsai est un homme d’âge mur, qui se déplace en fauteuil roulant. Pour la façade, il fait mine d’être parfaitement respectable, de mener un business on ne peut plus légal, mais en fait il dirige en sous-main le gang, lui confiant des missions relevant de la criminalité sans se soucier de la façon dont Scarra et ses amis les exécutent. Il est le cerveau derrière les méfaits des truands, qu’il manipule à sa guise pour favoriser ses propres intérêts, comme dans l’épisode 6, où il leur confie le soin d’acheminer une enveloppe contenant des documents sensibles pour le gouvernement, dans le but affiché de les monnayer contre une grosse somme d’argent, mais l’opération s’avère n’être qu’un leurre destiné à égarer la police, qui les arrête pour possession d’armes à feu après avoir intercepté leur véhicule (les armes ayant au préalable été placées dans le coffre par Bonsai). Grand stratège, Bonsai apparait le plus souvent dans la pénombre, attablé dans son atelier devant un plateau de jeu d’échecs. Au fil des épisodes, on découvre l’étendue de ses connexions, qui incluent des policiers, dont le commandant Schoeman en personne.

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Schoeman est un personnage ambivalent. Il apparaît comme un officier compétent, aguerri, mais ses liens avec Bonsai sont mystérieux, un secret semble lier les deux hommes, qui s’estiment mutuellement bien qu’ils ne se trouvent pas du même côté de la loi. Le commandant fait son possible pour freiner l’enquête qui peut aboutir à une mise en cause de Bonsai, tout en faisant preuve d’empathie envers ses subordonnés. S’il lui arrive de s’opposer frontalement à Phaka, qui conteste son autorité, il parvient à conserver un ascendant sur Kea, plus conciliante que son équipier. Le duo de flics se complète bien, Phaka est le plus impulsif, il est porté sur l’action tandis que Kea est plus réfléchie et habile a mener des interrogatoires avec tact. Leur relation est amicale, mais évolue vers un flirt au fil des épisodes. La série montre leur travail au quotidien et force est de constater que Phaka et Kea apparaissent souvent déconnectés de ce qui se passe dans les environs. Plusieurs scènes les montrent en train de discuter tranquillement pendant que sévissent des criminels non loin de là. La série met en évidence le fait que la police n’a pas les moyens de faire régner l’ordre dans les townships, faute d’effectifs suffisants.

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Les difficultés de la police sont illustrées par le passage (certes sans doute guère réaliste) où Scarra et ses potes interceptent un véhicule banalisé, neutralisent le flic qui le conduisait et dérobent des uniformes de policier avant d’aller braquer le commissariat pour s’emparer des armes qui s’y trouvent. Autre point qui ressort de façon flagrante, dans la série les univers de la pègre et des forces de l’ordre sont perméables. Par exemple, un agent, par ailleurs petit ami de Kea, Byron (Lamar Bonhomme) est lui aussi de mèche avec Bonsai, pour qui il est un homme de confiance, et n’hésite pas à subtiliser à sa demande les dossiers relatifs à certains suspects. Byron es prêt à tout pour dissimuler ses turpitudes, il ment sans vergogne, peut user de violence mais est taraudé par sa conscience qu’il cherche à étouffer en s’adonnant à la boisson. Dans les derniers épisodes, entre en scène une fliquette aux méthodes musclées, Angelique (Aimee Goldsmith), la fille de Schoeman, qui est un peu son antithèse: elle refuse toute compromission et ses soupçons envers le comportement de Byron vont grandissant.

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La minisérie accorde un soin tout particulier à la description de notre trio de cailleras. Scarra est bien sûr au centre de l’intrigue. Il multiplie les coups d’éclat pour gagner de l’argent ou récupérer de la drogue et a fréquemment maille à partir avec le gang rival, les Spinners. Il est très dépensier, au risque d’attirer l’attention de la police quand il mène grand train après une opération réussie. Scarra a une attitude cavalière envers Bonsai, il veut lui montrer qu’il ne l’impressionne pas, qu’il n’a pas de prise sur lui, mais si la force physique est de son côté, l’intelligence est clairement du côté de Bonsai qui ne s’inquiète pas de ses viriles rodomontades, certain qu’il est de pouvoir le manœuvrer. Scarra vit en couple avec Shirley (Busisiwe Mtshali) dans un appartement minable aux murs décorés de gros titres découpés dans les journaux. Sa copine est une prostituée qui veut changer de vie, elle ambitionne d’ouvrir un institut de beauté et considère d’un mauvais œil les activités de son compagnon, souhaitant le voir couper les ponts avec ses accointances dans la pègre.

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Shirley a été traumatisée par le meurtre de son souteneur Stenovo, dont elle a été témoin après que ce dernier l’ait agressé parce qu’elle n’avait pas assez d’argent à lui donner. Elle veut en finir avec cette existence sordide et, tout en désapprouvant Scarra, doit bien reconnaître que ses revenus frauduleux peuvent lui permettre de sortir de l’ornière. Elle éprouve de la sympathie pour Judas, qui est son confident. Mais ce dernier n’est pas un associé fiable pour Scarra. Il veut faire cavalier seul en organisant à son seul profit un juteux holdup: il braque un van transportant de la drogue pour le compte des Spinners. Cependant, il commet des maladresses qui permettent à la police de l’arrêter et d’obtenir sa collaboration en échange de la liberté. Il devient donc un mouchard (son prénom devient aptonyme) et il rencarde les flics en s’efforçant de ne pas attirer les soupçons sur lui. Mais Phaka le traite sans ménagement et se comporte avec légèreté à son égard, il ne prend pas toutes les précautions indispensables pour qu’il ne soit pas identifié comme traître, l’exposant ainsi à un danger de mort.

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La minisérie narre le délitement progressif du trio de gangsters, ce qu’illustre également le parcours chaotique de Mafikizolo, qui devient addict aux drogues dures et se révèle de plus en plus instable, ne reculant devant rien pour se procurer sa dose de dope (il n’hésite pas à dérober le magot de Scarra, mais n’est pas assez malin pour ne pas se faire prendre la main dans le sac). Sous l’emprise des stupéfiants, il va jusqu’à commettre un viol. Cependant, dans son état normal, il n’a rien d’un dangereux truand: lorsque Scarra lui demande de commettre un meurtre à l’aide de son revolver, il ne peut se résoudre à tirer à bout portant. C’est un pauvre type qui s’est laissé entraîner sur la mauvaise pente et qui n’a pas la force de réfréner ses penchants destructeurs. Il pâtit sans doute aussi de son manque d’éducation, d’avoir grandi dans un milieu très pauvre, ce que la série montre au travers des images de logements insalubres, de rues à la chaussée éventrée et de fauteuils usés trônant en extérieur, où se réunissent les jeunes désœuvrés du township. Une misère qu’incarne d’ailleurs fort bien un personnage secondaire, un junkie laveur de pare-brises, Eduardo dit Eddy, toujours dans la ligne de mire des flics pour qui il constitue une cible facile: très intimidable, il leur fournit des tuyaux à la moindre menace.

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Les deux derniers épisodes constituent le point culminant du récit, où les secrets entourant le passé de Scarra, Phaka et Bonsai sont révélés. L’ultime épisode (le plus court) s’achève par un climax saisissant, qui éclaire d’un jour nouveau le comportement des protagonistes. Dès lors, la conclusion inévitable permet de s’interroger à propos de l’influence du contexte familial sur le déroulement d’une existence ainsi que sur la frontière ténue séparant le bien et le mal. La minisérie a aussi le mérite de mettre en évidence l’isolement social que peuvent subir les habitants des townships (comme en témoigne une scène d’enterrement, où, faute de prêtre pour officier, des amis du défunt récitent avec grandiloquence des passages de la Bible, en anglais et en zoulou). L’intrigue est bien rythmée, avec des rebondissements survenant en fin d’épisodes et sans cliffhangers inutiles. Mshika-Shika n’est pas une minisérie parfaite, les faits sont parfois soulignés lourdement (comme en témoigne ce plan où, après la trahison de Judas, le trio est attablé devant une représentation de la Cène, dont la présence semble incongrue dans leur environnement de tous les jours). Mais globalement, c’est un polar bien construit, assez noir (pas trop quand même, l’épilogue n’est pas sombre pour tout le monde), qui n’oublie pas le commentaire social mais reste avant tout un divertissement riche en adrénaline.

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Likvidatsiya / Liquidation (Russie, 2007)

30 vendredi Juin 2017

Posted by Greg in Série

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Alexandr Golubyov, Alexei Kryutsenko, crime organisé, Elena Bruner, Enri Lolashvili, Espionnage, Kolya Spiridonov, Konstantin Lavronenko, Kseniya Rappoport, Mikhail Porechenkov, Odessa, Polina Agureeva, Russie, Sergey Ugryumov, Sergey Ursulyak, Victor Smirnov, Vladimir Mashkov, Vladimir Menshov

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C’est sans doute l’une des meilleures séries que j’ai visionné depuis le début de cette année: une histoire d’espionnage et de conspiration politique à l’action trépidante, qui se déroule dans l’immédiat après-guerre, en 1946, à Odessa. En 14 épisodes de près de 45 minutes, Likvidatsiya fut diffusée en 2007 sur la chaîne publique Rossiya 1 et a été réalisée par Sergey Ursulyak  (le même vidéaste qui a créé récemment une série centrée sur la jeunesse d’un fameux personnage: Stirlitz, l’agent secret du passionnant feuilleton Seventeen Moments of Spring). Le trio de scénaristes (Aleksandr Korenkov, Zoya Kudrya et Aleksei Poyarkov) s’est inspiré de l’intrigue d’un classique du petit écran russe, The Meeting Place Cannot Be Changed (Mesto vstrechi izmenit nelzia, 1979): le contexte est le même, la ville est aux prises avec une organisation criminelle aux ramifications étendues et l’officier chargé de la démanteler tutoie les frontières de la légalité pour parvenir à ses fins. Cependant, le déroulement général de l’intrigue et ses implications politiques démarquent nettement Liquidation de son illustre prédécesseur.

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Le personnage central de la série est le lieutenant colonel David Markovitch Gottsman (Vladimir Mashkov l’incarne avec expressivité), qui dirige le département d’investigation criminelle de l’armée. Pendant la guerre, il combattit en Crimée, le souvenir des sanglantes batailles est encore pour lui une plaie vive (toute sa famille et nombre de ses amis proches périrent durant le conflit). Il a fort à faire avec la criminalité galopante qui sévit à Odessa: lors du premier épisode, il parvient à opérer, avec ses hommes, un coup de filet contre le gang d’un certain Goosey et découvre un important dépôt d’armes et un millier d’uniformes militaires dérobés dans le repaire des malfrats. L’insécurité qui règne en ville inquiète fort le maréchal Zhukov (joué par Vladimir Menshov), qui vient de prendre les fonctions de commandant de la région militaire: le jour de son arrivée par le train, des saboteurs ont fait sauter les rails de la ligne de chemin de fer passant aux abords de la cité. La pression de la hiérarchie pèse donc lourdement sur Gottsman qui suit difficilement les pistes lui permettant de remonter la chaîne de commandement des malfrats, pour parvenir à identifier un dénommé Chekan (Konstantin Lavronenko), un malfrat balafré toujours vêtu d’un uniforme de capitaine.

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Gottsman est un officier entraîné qui possède quelques connexions avec le milieu de la pègre, à commencer par son oncle Yeshta, qui vit au même endroit que lui et lui fournit à l’occasion de précieux tuyaux. Son assistant, Yefim Petrov (Sergey Ugryumov), particulièrement débrouillard (entre autres combines, il sait à qui s’adresser pour obtenir des faux papiers, connaissant bien Rodya, un talentueux faussaire), est un ancien pickpocket. Il est secondé également par un gamin des rues, Mishka (Kolya Spiridonov), aussi rusé qu’entêté. Gottsman le place dans un orphelinat où il suit tant bien que mal des cours scolaires, entre deux tentatives de fugue, et participe à la chorale des enfants de l’établissement. L’officier se prend d’affection pour ce gosse turbulent mais très attachant, il le considère comme un membre de sa propre famille et finit par l’adopter légalement. D’autre part, Gottsman a sous ses ordres des militaires chevronnés comme le sergent Arsenin (Alexandr Sirin), un médecin qui fut affecté au front de l’Est et vécut le choc de la bataille de Khalkhin Gol, affrontement russo-japonais de 1939, le major Dovjik ou encore le lieutenant Tishak (Alexandr Golubyov), un plaisantin à la gâchette facile, de surcroît porté sur la boisson.

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Gottsman est respecté à la fois par les citoyens honnêtes et par les malfrats, avec qui il peut discuter franchement et négocier le soutient. Il arrive de fil en aiguille à découvrir les contours d’une organisation aux objectifs nébuleux, dirigée par l’insaisissable Akademik, autour duquel gravitent des truands de faible envergure (comme le Grec, qui sera assassinée lors de son transfert au poste de police, après son arrestation, pour l’empêcher de révéler ce qu’il sait aux autorités), des partisans de l’indépendance de l’Ukraine, des « Frères de la forêt » (militants antisoviétiques d’origine balte qui mènent une guérilla sans merci contre la férule de l’URSS dans les pays satellites), mais aussi des nazis, anciens membres de l’Abwehr, des agents de renseignement chevronnés dont les réseaux subsistent encore au sein des zones auparavant occupées par les allemands.

Les hommes de Gottsman tentent à plusieurs reprises de tendre une souricière pour piéger les criminels, mais ceux qui ne sont pas tués lors des échauffourées parviennent toujours à s’échapper. De plus, des témoins essentiels pour l’enquête sont promptement liquidés avant d’avoir le temps de parler: pour l’un, son assassinat, perpétré dans son bureau, est maquillé en suicide, tandis qu’un autre est victime d’un meurtre en chambre close (lors de l’épisode 7, où la victime a été enfermée dans une armoire de fer constamment sous la surveillance d’un soldat et pourtant est retrouvée étranglée dans sa prison improvisée au moyen d’un nœud coulant).

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Il devient évident que les criminels ont toujours un coup d’avance sur les autorités. Il doit donc y avoir un informateur dissimulé parmi le personnel militaire. Les soupçons se portent tour à tour sur chacun des subordonnés de Gottsman, dont les agissements parfois maladroits semblent suspects, mais aucune preuve tangible n’est trouvée et les doutes subsistent.  Les enquêteurs ont affaire à forte partie, des individus résolus qui s’ingénient à brouiller les pistes et n’hésitent pas à user de violence (ainsi, un indic est acculé entre les mailles d’un filet de pêche pour être ensuite mitraillé par des malfrats à la solde d’Akademik; lorsque Chekan veut fuir l’Ukraine pour se réfugier en Turquie, il en est dissuadé par la séquestration de sa petite amie Ida, menacée de mort s’il refuse de devenir trafiquant d’armes pour le compte de l’organisation secrète). De son côté, Gottsman n’est certes pas non plus un ange, il pratique l’intimidation en vue d’amadouer les petites frappes (ainsi, il monte un simulacre de peloton d’exécution pour les inciter à être obéissants). Il est bientôt épaulé par le major Vitaliy Krechetov (Mikhail Porechenkov), l’assistant du procureur militaire, qui s’avère être un enquêteur à l’esprit vif, capable d’initiatives audacieuses et méthodique. Une solide amitié se noue entre les deux hommes, dont les caractères se complètent à merveille (le bouillonnant Gottsman est tempéré par le flegmatique et mondain Krechetov).

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Krechetov est un mélomane averti, féru d’opéra. Il a servi pendant la guerre en Biélorussie, mais il reste discret sur cet épisode de sa vie. Il courtise une chanteuse et danseuse, Antonina Petrovna Tsar’ko (incarnée par Polina Agureeva), une fille un peu folâtre, coutumière des caprices de diva, mais dont le charme et la fraîcheur juvénile excuse bien des défauts. La série développe aussi deux autres intrigues sentimentales. L’une entre Gottsman et l’ancienne amie de Yefim Petrov, Nora (Elena Bruner). Nora est un personnage mystérieux, elle a de toute évidence un prénom d’emprunt, celui de l’héroïne d’Une maison de poupée d’Ibsen. Elle fréquente de temps en temps l’officier, devient sa confidente, mais garde toujours une certaine distance avec lui, esquivant ses propositions de sorties au cinéma ou à l’opéra. Sa relation avec lui est amicale, platonique. Son regard mélancolique exprime un tempérament slave, un certain fatalisme. Il y a un romantisme typiquement russe dans les scènes sentimentales qui émaillent le récit (comme celle durant laquelle Nora et Gottsman partagent une bouteille de cognac en échangeant des mots doux). La série perpétue la vision romantique du criminel de grand chemin avec le personnage de Chekan, valeureux même lorsqu’il est blessé et qui voue une passion brûlante à Ida (Kseniya Rappoport), une femme fatale au tempérament de feu qui reste avec lui malgré le danger qu’elle court à ses côtés.

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Un thème très présent dans la série est celui du rapport compliqué de Gottsman à l’autorité. Ses méthodes sont contestées car il est en lien avec les milieux interlopes mais peut se prévaloir d’une certaine efficacité. Son supérieur direct, le colonel Omel’yanchuk (Victor Smirnov) est irascible mais, malgré ses accès de colère, a beaucoup d’estime pour son officier enquêteur et n’hésite pas à le défendre le cas échéant. Gottsman a par contre des relations en dents de scie avec Zhukov, qui le fait arrêter pour insubordination lorsqu’il lui tient tête, mais le relâche très vite. Le maréchal est dépeint comme un haut gradé très strict mais avec un bon fond (lorsque Mishka lui dérobe sa montre à gousset en pleine rue, il le pardonne et l’autorise à la garder). Gottsman doit aussi collaborer avec le colonel Chusov (Yuri Lakhin), chef du contre-espionnage à Odessa, qui utilise des méthodes expéditives sans lui en référer. Ainsi, Chusov met en place l’opération « Mascarade »: des officiers de renseignement d’élite se déguisent en civils, portent des vêtements coûteux et de l’argent de façon ostensible et son chargés de circuler dans Odessa en dissimulant des armes à feu sur leur personne. Le but de la manœuvre est de provoquer les criminels pour les mettre hors d’état de nuire, sensément en état de légitime défense (de plus, chacun d’eux possède les signalements de malfrats les plus recherchés, ceux-ci devant être éliminés dès identification).

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Gottsman s’insurge contre ces méthodes brutales mais il n’est qu’un rouage dans l’appareil étatique et ses récriminations sont sans effets. Lorsqu’un chanteur à succès, Leonid Utyosov, se produit à Odessa (où il interprète sa célèbre chanson U Chernogo Morya), une trêve s’établit entre les autorités et les criminels, à l’initiative de Gottsman: ils peuvent assister au concert, mais ne doivent pas détrousser à cette occasion les membres de l’assistance. Mais  Zhukov choisit ce moment propice pour ordonner l’arrestation des malfrats, à l’insu du lieutenant colonel qui considère ce coup de filet comme un acte de traitrise. Au fur et à mesure que l’on avance dans la série, le rôle de Gottsman devient de moins en moins central, il apparait de plus en plus comme un pion dans une partie d’échecs dont les enjeux le dépassent. La structure du récit fait penser aux matriochkas, on découvre au fur et à mesure de nouvelles strates de l’organisation secrète d’Akademik, des protagonistes que l’on croyait être de premier plan dans la conspiration n’étant in fine que des seconds couteaux manipulés par des individus plus puissants. La révélation de la véritable identité d’Akademik, très tardive, ne m’a pas réellement surpris car les indices commençaient à s’accumuler concernant celui qui semblait à priori le moins soupçonnable. En fait, si la série est bien captivante, l’épisode final assez prévisible et volontiers mélodramatique n’est sans doute pas un des points forts de Likvidatsiya.

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Outre une intrigue millimétrée, la série propose aussi un portrait très vivant d’Odessa au lendemain de la guerre, une ville confrontée à des difficultés économiques non négligeables (le marché noir est florissant, la débrouille se pratique au quotidien), caractérisée par un mélange foisonnant de cultures, de dialectes divers qui coexistent sous la domination soviétique. Gottsman a pour voisinage une famille juive exubérante, au langage folklorique: la tante Pesya et son fils Emmik, tous deux bien en chair, sont des personnages secondaires essentiellement comiques, qui se chamaillent à longueur de journée à tous propos sous les yeux des passants amusés. Dans sa demeure, vit son ami de longue date Mark (Alexei Kryutsenko), un ancien pilote de guerre lourdement handicapé (physiquement et mentalement car il est amnésique) depuis qu’il a été blessé en mission par un tir ennemi, un personnage tragique, de tendance suicidaire, soutenu par sa tendre épouse Galiya. Des protagonistes qui restent au second plan, mais qui apportent une dimension humaine bienvenue et donne un aperçu de l’ambiance qui régnait alors dans les quartiers populaires, ainsi que de la vie de tous les jours des petites gens. Hélas, après les premiers épisodes, cet aspect a tendance à se faire plus rare, des personnages bien plus inquiétants tiennent la vedette (comme Victor Platov, un ancien subordonné de Gottsman, qui semble lié à la conspiration mais dont les motivations restent longtemps équivoques).

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Si la série peut être comparée à The Meeting Place Cannot Be Changed, force est de constater que Likvidatsiya possède une intrigue plus ambitieuse, qui comporte une dimension géopolitiques absente de la fiction des frères Vayner, où les criminels de l’organisation « le chat noir » ne formaient pas un réseau aussi protéiforme. Le point fort de al minisérie de 1979 était ce personnage hors du commun, le capitaine Gleb Zheglov, un flic pour qui la fin justifie les moyens, prêt à fabriquer des preuves et à se comporter lui même comme un malfrat pour aboutir à une arrestation. Le lieutenant qui le seconde, Vladimir Sharapov, idéaliste et porteur d’une conception morale de la loi n’est pas le pendant de Gottsman: ce dernier, bien que capable de reprocher vertement à ses supérieurs leurs agissements répressifs, ne les condamne pas au fond, ses propres méthodes étant (certes à un degré moindre), dénuées d’humanisme et motivées essentiellement par le désir de vengeance. Les deux séries sont néanmoins globalement d’excellente qualité, chacune ayant ses avantages: le rythme de Likvidatsiya est bien plus soutenu, le scénario plus complexe et riche en retournements, tandis que The Meeting Place se distingue par un épisode final qui s’achève par un climax saisissant.

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Sur le plan esthétique, pour peu que l’on apprécie les couleurs délavées, la série de Sergei Ursuliak est une réussite. L’image a une patine rétro, entre le sépia et le noir et blanc, seuls les teintes rougeoyantes ressortent nettement sur les images. Ce choix de filtres donne presque l’impression au spectateur de regarder un vieux film noir des années 50. Les contrastes de luminosité sont aussi exploités de façon intéressante, en particulier concernant les plans nocturnes extérieurs de façades d’immeubles: un exemple frappant est une scène atmosphérique où Gottsman observe l’orphelinat depuis la rue et voit à travers les fenêtres éclairées les silhouettes immobiles fantomatiques des petits pensionnaires. La bande originale, signée Enri Lolashvili, n’est composée que d’un petit nombre de morceaux mais est parfaitement adaptée à la tonalité de l’intrigue. Surtout, la série propose quelques belles interprétations de ritournelles populaires en URSS dans les années 30/40, à l’instar de Valenki au répertoire de Lidia Rouslanova, certaines étant chantées sur la scène du théâtre d’opéra et de ballet d’Odessa. De plus, quelques extraits de films d’époque sont montrés (je ne les ai pas identifiés, ma connaissance du cinéma soviétique est très limitée), ainsi que des affiches de bobines probablement jamais diffusées en occident.

En conclusion, à part la fin qui aurait pu être plus surprenante et intense sur le plan dramatique, c’est une production de haut niveau, avec un casting impressionnant, remarquable tant sur le plan narratif que formel. Refrain connu concernant les séries d’Europe de l’est (entre autres): on regrette qu’un DVD avec des sous-titres français ne soit pas disponible (cependant, on peut trouver sur le web un sous-titrage en anglais approximatif), d’autant plus que l’on est en présence d’un des fleurons de la production télévisuelle russe contemporaine.

Ci-dessous, une vidéo de la chanson « By the black sea » (U Chernogo Morya) de Leonid Utyosov, diffusée sur gramophone.

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