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Miris kise na Balkanu / The scent of rain in the Balkans (Serbie, 2010)

30 dimanche Avr 2017

Posted by Greg in Série

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Aleksandra Bibic, Balkans, Gordana Kuic, Histoires de famille, Kalina Kovacevic, Ljubisa Samardzic, Marija Vickovic, Mirka Vasiljevic, série historique, Seconde guerre mondiale, Serbie, Sinisa Ubovic, Tamara Dragicevic

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C’est l’adaptation d’un bestseller méconnu en France, un roman historique de Gordana Kuic, l’histoire forte d’une famille juive de Sarajevo entre 1914 et 1945. Réalisée par Ljubisa Samardzic, en 14 épisodes d’environ 50 minutes, c’est une série qui certes ne paie pas de mine: la plupart des scènes sont tournées en intérieur avec un éclairage artificiel de studio télé; une musique discrète et répétitive, omniprésente en fond sonore, illustre de façon uniforme chaque passage du récit, sans être modulée en fonction de la tension dramatique; le maquillage des acteurs est parfois trop voyant, on le voit couler sous la chaleur des projecteurs. Mais malgré les limites de la production et la tonalité quelquefois un peu mièvre, sentimentale, des intrigues, j’ai trouvé la série captivante et l’ambiance balkanique qui y règne non dénuée de charme. Surtout, c’est l’occasion de découvrir une communauté oubliée, les juifs séfarades exilés dans ce qui fut l’Empire austro-hongrois et s’exprimant en ladino (langue mêlant l’espagnol ancien et l’hébreu, à ne pas confondre avec le ladin, langue rhéto-romane helvétique), à  travers une version romancée des souvenirs de jeunesse de la mère de Gordana Kuic.

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La série retrace le parcours des membres de la famille Salom et plus particulièrement des cinq filles  de Léon et Esther: Blanka, Riki, Buka, Nina et Klara. Celles-ci sont tiraillées entre le devoir d’observer les coutumes juives ancestrales et la nécessité de s’intégrer dans la société balkanique de l’époque. La période est tourmentée et la fratrie traverse tant bien que mal les deux conflits mondiaux, les sœurs étant fréquemment contraintes à mener des existences séparées, à vivre dans des villes éloignées les unes des autres selon les caprices du destin et les soubresauts de l’Histoire. Elles ont conscience de leurs origines espagnoles, se souviennent avec douleur de l’expulsion de leurs ancêtres en 1492 et de leur implantation en Bosnie des siècles plus tôt. Chacune des filles a un tempérament bien affirmé et n’hésite pas à outrepasser les conventions de sa communauté, revendiquant ainsi une émancipation en phase avec les mœurs contemporaines. Elles respectent cependant certaines traditions bien ancrées, comme les rites funéraires (ainsi, lorsque leur grand-père meurt lors du premier épisode, elles se réunissent autour de sa tombe et posent chacune une pierre devant la stèle, en hommage au défunt).

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Les premiers épisodes se déroulent en 1914, une année marquée à Sarajevo par l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand par Gavrilo Princip: l’évènement est montré brièvement, en insistant sur la panique qui saisit la foule suite aux coups de feu. Par la suite, lors du déclenchement de la guerre, le fils de famille, Atleta (Stefan Buzurovic) est mobilisé. Ce jeune homme au crâne dégarni reste au second plan, ne faisant que quelques apparitions furtives dans la série: on apprend qu’une fois revenu de la guerre, il mène une carrière de journaliste à Zagreb et qu’il épouse une juive ashkénaze, rompant ainsi avec la coutume séfarade des unions intracommunautaires. La série se concentre plutôt sur les personnages féminins. L’aînée, Buka (Tamara Dragicevic), est celle qui connaitra l’existence la plus difficile. Initialement, elle veut épouser un libraire bien plus âgé qu’elle, mais celui-ci repousse ses avances, l’estimant trop jeune pour pouvoir vivre avec un vieux rat de bibliothèque tel que lui. Elle finit par s’unir avec un jeune étudiant en théologie, Danijel Papo, qui lui donne deux fils jumeaux, avant de sombrer dans la démence.

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Danijel avait prévenu Buka que la folie frappe les membres masculins de sa famille depuis des générations. Il est sujet à de violentes crises de colère, développe une obsession pour les livres religieux (particulièrement le Kuzari, un ancien traité de philosophie juive) et finit par être interné à l’asile, laissant son épouse élever seule sa progéniture. Plus tard, lors de la seconde guerre mondiale, ses deux fils sont déportés au camp de concentration de Jasenovac, dont ils ne réchapperont pas. Alors que sa santé est déclinante et qu’elle passe ses journées alitée, sa sœur Nina apprend la terrible nouvelle et ne se résout pas à la lui avouer, de peur que cela ne l’achève. Buka meurt des suites d’une longue maladie en ignorant le triste sort de ses enfants. Les autres protagonistes n’ont heureusement pas une vie aussi tragique, mais tout de même mouvementée. Ainsi, Nina Salom (Kalina Kovacevic), qui a ouvert un salon très chic où elle exerce la profession de chapelière, fréquente la bonne société et est relativement aisée.

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Elle tombe amoureuse d’un certain Skoro, un serbe de religion chrétienne, ce qui provoque un tollé dans sa famille (elle subit les remontrances de tante Nona, la matriarche). Skoro s’engage dans l’armée autrichienne et revient blessé des combats de la première guerre mondiale. Le couple vivra à l’écart des autres membres de la famille Salom, Nina restant en froid avec sa parentèle. De nature indépendante et plutôt individualiste, elle n’hésite cependant pas à aider ses sœurs à subvenir à leurs besoins, leur prodiguant le cas échéant des conseils pour se lancer dans le commerce et ouvrir un salon. C’est malheureusement le personnage le moins développé parmi les cinq filles Salom, moins encore que sa sœur Klara (Marija Vickovic), qui n’est présente que par intermittences dans la série, où l’on suit essentiellement ses démêlés conjugaux.  Elle succombe au charme d’Ivo Valic (Stipe Kostanic), un séducteur sans scrupules, qui très vite la trompe sans vergogne, part s’installer loin d’elle (à Milan) et refuse de lui envoyer l’argent pouvant lui permettre de subsister.

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Ivo se révèle être un individu froid, dépourvu d’empathie et irresponsable: un choix funeste pour Klara, malgré l’assentiment de sa famille pour cette union entre deux juifs séfarades. Délaissée, elle part vivre dans l’actuelle Slovénie, à Škofja Loka. Elle reste un protagoniste secondaire, contrairement à deux de ses sœurs, Riki et Blanka, qui monopolisent la plupart des intrigues. Riki (Aleksandra Bibic) trouve très tôt sa vocation: elle veut devenir danseuse. Dans les premiers épisodes, on la voit improviser des chorégraphies enlevées devant ses proches, lors des repas de famille. On suit ensuite sa carrière, qui passe par une école de danse à Vienne, les cours du studio Legato à Paris ou encore le prestigieux ballet national de Belgrade. C’est là qu’elle s’éprend du secrétaire général de l’établissement, Milos (Igor Damjanovic). La série nous gratifie de quelques belles prestations sur scène, ainsi que d’une séquence charmante où Riki exécute une danse virevoltante au son des violons lors d’une étape de tournée à Dubrovnik, en extérieur et au milieu d’une volée de pigeons. Mais sa brillante carrière va connaitre un brutal coup d’arrêt, lorsqu’elle s’effondre en plein spectacle, victime des conséquences d’une tuberculose osseuse.

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Riki doit quitter à contrecœur le métier, alors qu’elle projetait d’intégrer le ballet londonien de Sadler Wells. Elle se reconvertit en ouvrant un salon de chapelière à  Belgrade, où elle promène sa silhouette désormais claudicante. Cependant ses pairs ne l’ont pas complètement oubliée: un soir où elle assiste à une représentation du Lac des cygnes, elle reçoit à la fin du spectacle un vibrant hommage de la part de la troupe. L’autre protagoniste prépondérant de la série est Blanka (Mirka Vasiljevic). Au long des épisodes, la narratrice en voix off à la voix chevrotante n’est autre que Blanki âgée. Sa relation avec un jeune homme d’affaires serbe, Marko Korac (Sinisa Ubovic) occupe une place importante dans la fiction. Le couple a un côté glamour et fait l’objet de quelques scènes hautement romantiques. Marko est un businessman prospère, surtout actif dans la communication (il est patron de presse et travaille aussi pour la Paramount). C’est le gendre idéal mais sa famille chrétienne orthodoxe voit d’un mauvais œil sa liaison avec une juive.

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Marko et Riki finissent malgré tout par se marier, selon le rite orthodoxe russe, comprenant l’office du couronnement, où les époux doivent porter des couronnes d’or et d’argent. Blanki est une femme volontaire et dotée d’un fort caractère. Elle a également un don de prémonition, elle est capable de sentir si un être cher vivant à distance est sur le point de mourir. Ainsi, elle réalise avant tout le monde que sa mère est décédée et accourt chez elle pour constater qu’elle vient de passer de vie à trépas. C’est le seul élément vaguement surnaturel de la série. Celle-ci, outre proposer une chronique familiale s’étalant sur des décennies en mettant l’accent sur les relations sentimentales entre les protagonistes, s’attache à évoquer la vie en temps de guerre, surtout lors des derniers épisodes qui traitent de la seconde guerre mondiale dans les Balkans. Les bombardements de Belgrade par la Luftwaffe, forçant la population à se réfugier dans des bunkers, le bref interlude du coup d’État du général Dušan Simović (opposé à une alliance avec les puissances de l’Axe), la prise de pouvoir par les Oustachis et l’instauration de leur régime fasciste forment la toile de fond des destinées de la famille Salom.

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Pendant la guerre, les sœurs doivent faire face à la menace grandissante pesant sur la population juive, elles se résignent à fuir et se trouvent bientôt éparpillées à travers l’Europe. De son côté, Marko voit le journal dont il est propriétaire réquisitionné: avoir une presse libre devient vite illusoire. Il manque une première fois d’être arrêté pour l’assassinat d’un officier qu’il n’a pas commis avant d’être incarcéré pour le simple fait d’avoir épousé une juive. Blanki se démène pour le faire sortir de prison et envisage même de divorcer pour effacer les liens de Marko avec sa famille séfarade. Un ordre transmis par Zagreb (forgé par un faussaire) permet finalement de le libérer (alors que, souffrant de diabète, il a été transféré à l’hôpital) et le couple doit fuir en se munissant de faux papiers. Suite à une proclamation des autorité selon laquelle tous les réfugiés belgradois doivent revenir dans leurs foyers sous peine de voir leurs biens confisqués, Riki a retrouvé son salon intact mais est forcée de se signaler à la police et doit porter en permanence un brassard avec une étoile jaune. On lui demande bientôt de se rendre dans un lieu public pour se faire enregistrer, comme tous les autres juifs, mais une ancienne collègue du ballet de Belgrade la dissuade de s’y rendre, car elle pressent que c’est une rafle qui l’y attend et un aller sans retour pour les camps de la mort.

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La série insiste sur le fait que de simples citoyens se sont comportés avec bravoure et n’ont pas hésité à cacher des juifs, leur sauvant la vie à de multiples reprises. La brutalité du régime des Oustachis est mise en évidence (flicage généralisé, manifestations quotidiennes de xénophobie), mais pas leurs pires exactions (on ne nous montre pas les massacres qu’ils perpétrèrent, ni le cauchemar de l’univers concentrationnaire). Également,  la fiction dénonce les travers de la résistance yougoslave, en particulier des Partizani, mouvement armé d’inspiration communiste commandé par Tito, devenu en 1945 une véritable armée de libération, mais qui se livra alors à des pillages dans les campagnes, faisant preuve de brutalité envers les gens suspectés de collaborer avec l’ennemi. Riki, réfugiée au sein d’un foyer de paysans, un milieu un peu rustre auquel cette citadine a bien des difficultés à s’adapter, est confrontée à l’un de ces bataillon qui, la prenant pour une traitresse, menace de la fusiller sur le champ. Dans une scène où culmine la tension dramatique, elle affronte la situation avec un courage frôlant la témérité.

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En dépit des carences flagrantes de la production, évoquées dans le premier paragraphe, et du caractère fleur bleue de certaines intrigues sentimentales, The scent of rain in the Balkans est loin d’être un programme bas de gamme. Les dialogues sont bien ciselés, la série offre un résumé saisissant de l’histoire des Balkans dans la première moitié du XXe siècle.  Surtout, ce qui lui confère un caractère unique, c’est la description d’une culture séfarade en voie d’extinction, avec ses chants traditionnels ( qui retentissent maintes fois au cours des épisodes, la chanson qui revient le plus souvent étant Adio Querida, une complainte mélancolique aux sonorités hispaniques), ses rituels immuables et ses spécialités gastronomiques (telles le pastel di carne con massa fina, une tarte à l’oignon,  le sogan-dolma, un plat au yaourt typique de la ville de Mostar, ou encore le sungatu, une terrine aux poireaux: autant de mets qui m’étaient inconnus avant ce visionnage).

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Le thème de la mémoire traverse la série, il apparaît nettement que l’important pour la famille Salom est de sauvegarder le souvenir des générations passées: dans un passage trop bref, Blanki et Riki effectuent un pèlerinage en Espagne, sur les traces de leurs ancêtres, visitant les lieux même de leur existence passée et lorsqu’elles visitent, après la guerre, le cimetière où reposent des membres de leur famille depuis des décennies, elles sont peinées de voir les sépultures chamboulées et de ne plus pouvoir identifier les tombes où se recueillir. En définitive, ce qui séduit dans cette fiction, c’est sa valeur de témoignage, le fait qu’elle nous donne un aperçu de l’âme d’une communauté, fragment d’une diaspora juive métissée à la culture des Balkans. J’avoue avoir été tenté, à l’issue du premier épisode, d’arrêter là, n’y voyant qu’une énième fiction patrimoniale à tendance soapesque. Heureusement, la série se révèle être bien plus que ça, l’apport culturel pour le téléspectateur désireux d’en savoir plus sur la mosaïque ethnique yougoslave au XXe siècle étant indéniable.

Vidéo ci-dessous: la chanson du générique de la série, Adio Querida.

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Turneja (Serbie, 2008-2011)

13 mercredi Avr 2016

Posted by Greg in Mini-série

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Bosnie-Herzégovine, Goran Markovic, Jelena Djokic, Mira Furlan, récit de guerre, Serbie, Théâtre, Tihomir Stanic, tragi-comédie

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C’est une curieuse fiction que je présente aujourd’hui. Elle provient de Serbie, contrée d’où bien peu de séries nous parviennent sous-titrées: Turneja fut initialement un film datant de 2008, puis une minisérie en 3 épisodes diffusée en 2011 (rallongée avec l’ajout d’images d’archives et de quelques scènes coupées au montage dans la version cinématographique). Réalisée par Goran Markovic, c’est une satire mordante montrant l’absurdité de la guerre, un exercice d’équilibrisme oscillant entre le comique de situation et le drame le plus noir. C’est l’histoire d’une troupe d’acteurs de théâtre exerçant à Belgrade qui, en 1993, se lance dans une improbable tournée en Bosnie-Herzégovine en plein conflit entre serbes, croates et bosniaques. La bande musicale enjouée de Zoran Simjanovic et les nombreux gags donnent une tonalité décalée au récit, en contraste avec le chaos ambiant et l’horreur des exactions commises par les belligérants.

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Lorsque l’action débute, en décembre 1993, Stanislav (joué par Tihomir Stanic), qui dirige une troupe désœuvrée passant son temps à jouer aux cartes faute de représentations au programme, propose une tournée (qu’il imagine lucrative et de tout repos) en direction de la république serbe de Krajina. Le groupe embarque dans un van vétuste piloté par le flegmatique Djuro (Slavko Stimac). Les comédiens forment un ensemble disparate. Misko (Dragan Nikolic) est un acteur expérimenté plus populaire pour ses rôles dans des séries télé que pour ses prestations su scène; Sonja (Mira Furlan, qui joua notamment dans Babylon 5 et Lost) est une star capricieuse d’origine croate qui se chamaille fréquemment avec Zaki (Josif Tatic), son ex-mari, comédien alcoolique et féru de poésie nationaliste; Lale (Gordan Kicic) est un jeune coureur de jupons qui courtise Jadranka (Jelena Djokic), étudiante en dramaturgie ayant pour spécialité les tragédies classiques et actrice néophyte nouvellement recrutée. Des tensions apparaissent vite, surtout entre Sonja et Jadranka, qui se crêpent le chignon en permanence, la première jalousant la seconde.

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Les protagonistes n’ont pas une grande épaisseur psychologique, mais se distinguent par leurs attitudes fantasques et comiques. Leurs premières représentations en Bosnie ne sont pas accueillies comme ils l’espéraient. La puce à l’oreille, de Georges Feydeau, jouée devant des civils peu réceptifs à l’humour boulevardier, fait un bide. Devant un public de militaires, ils choisissent d’interpréter La mort de Stefan Decanski, de Jovan Sterija Popović, pièce qui s’avère bien trop intellectuelle pour les spectateurs, majoritairement des bourrins qui viennent surtout pour se défouler (et veulent voir Sonja à poil): la soirée s’achève en bagarre générale. Ultérieurement, ils sont obligés de jouer dans un hôpital de campagne improvisé, au milieu des blessés. Ils doivent aussi composer avec le commandement militaire, en particulier l’irascible et autoritaire colonel Gavro qui, non content de les obliger à reverser leurs gains à une œuvre de charité (moins la généreuse commission qu’il s’octroie), exige qu’ils intègrent à leurs spectacles de la propagande nationaliste pour galvaniser les troupes.

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En fait, la tournée tranquille qu’espérait Stanislav se mue très vite en déroute. Les comédiens cheminent sur des routes pilonnées par l’artillerie, doivent trouver un logement dans des villages frappés par les bombardements et victimes de pannes d’électricité aléatoires et seront même contraints à un moment de traverser une zone truffée de mines. Dans leur parcours mouvementé, ils feront des rencontres périlleuses avec l’ARBIH (armée de la république de Bosnie-Herzégovine), les chetniks (unités paramilitaires) ou encore des soldats croates armés jusqu’aux dents. Après avoir dû livrer des caisses de vodka aux soldats des tranchées, ils sont contraints de rester plus longtemps que prévu près de la ligne de front, faute d’avoir obtenu le permis de circuler nécessaire à leur retour à Belgrade. On les voit constamment ballottés, entrainés malgré eux par les revirements d’un conflit inextricable.

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Turneja fait un peu l’effet d’une douche écossaise: des passages résolument comiques sont interrompus par l’irruption soudaine de la tragédie. Des personnages rencontrés quelques instants plus tôt disparaissent sans crier gare, victimes collatérales des combats. L’effroi peut surgir à tout moment, comme lors d’une scène où des militaires serbes capturent une unité croate et, après avoir plaisanté et entonné des chansons nostalgiques, exécutent sans états d’âme des prisonniers. L’absurdité du conflit est soulignée avec gravité à plusieurs reprises. Un chirurgien réquisitionné par l’armée fustige une guerre où s’opposent des gens qui se ressemblent, parlent la même langue et ont au fond des mentalités similaires. Un acteur remarque qu’au lieu d’eau minérale, les gens de ce pays boivent le sang de leurs semblables. La vision, au détour d’une route, de musulmans capturés et humiliés par d’autres musulmans sous prétexte qu’ils sont originaires d’une différente localité, suscite une perplexité consternée parmi les membres de la tournée.

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Le réalisateur a eu visiblement à cœur de ne pas prendre parti et de renvoyer dos à dos toutes les factions du conflit. Cependant, le nationalisme serbe est particulièrement visé et tourné en ridicule, avec le personnage de Ljubic (Vojislav Brajovic), écrivain et poète infatué en visite sur le front pour trouver l’inspiration en vue d’écrire une œuvre d’un patriotisme exacerbé. Ljubic est un tribun consommé dont les discours enflammés ont des relents d’idéologie nazie, poussant même dans certaines harangues au nettoyage ethnique. Doté d’un égo démesuré, il est avant tout soucieux de sa notoriété et de sa carrière personnelle. Ce personnage cynique est cependant bien trop caricatural pour apparaître autrement qu’un pitre grotesque.

Globalement, Turneja est une fiction marquante, mais qui ne donne nullement une vision claire du conflit, l’objectif principal étant de montrer que cette guerre était un chaos dénué de sens.

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Pour un spectateur étranger à la culture serbe et croate, certaines allusions littéraires et théâtrales n’évoqueront sans doute rien, comme la citation d’une œuvre du dramaturge de la république de Raguse, Marin Držić, une tirade de Njegoš, prince philosophe du Montenegro ou encore l’évocation de Đura Jakšić, écrivain serbe apparemment éminent dans son pays. Si certains personnages masculins manquent de relief, les protagonistes féminins s’avèrent les plus intéressants, en particulier Sonja (Mira Furlan est très expressive dans ce rôle) et Jadranka. Jelena Djokic dans le rôle de cette dernière a droit à la scène la plus intense, lorsqu’elle se lance dans une tirade extraite d’Iphigénie à Aulis d’Euripide, exaltant la grandeur du sacrifice devant des bataillons hostiles à la troupe de théâtre.

Finalement, c’est un récit improbable, dont le point de départ peut susciter l’incrédulité, mais dont le message antimilitariste sans ambiguïté est développé avec une telle conviction que l’on a envie d’adhérer à cette vision sans concessions du conflit, en se doutant cependant que la réalité est plus complexe. La tragédie l’emporte finalement sur la comédie, inévitablement. La fin est à cet égard empreinte d’une grande lassitude et sonne comme l’épilogue, marqué par la stupeur et l’accablement, d’un parcours initiatique éprouvant.

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