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En cette période de grisaille hivernale, cette série très plaisante a constitué pour moi une évasion bienvenue. C’est un programme qui a marqué, en 1970, une date historique dans l’histoire de l’ORTF: le passage à la couleur. En 13 épisodes d’un peu moins d’une demi-heure, cette chasse au trésor à travers les îles de Polynésie avait surtout pour objectif de faire découvrir aux téléspectateurs métropolitains les diverses facettes de la culture locale, ainsi que la beauté des paysages. Création d’Adolphe Sylvain, photographe et vidéaste, la série met en vedette son fils, Téva, alors jeune adolescent. Seuls les premiers épisodes (en couleur) sont à  ce jour visibles en ligne, mais j’ai réussi à me procurer l’ensemble du feuilleton, hélas dans une version en noir et blanc. Pour illustrer cet article, j’ai choisi de ne présenter que des images en couleur issues des premières heures d’Opération Gauguin. J’ai aussi trouvé sur un vieux disque 33 tours des musiques de la série. La bande originale, due au fameux François de Roubaix, est une réussite, d’un exotisme musical hautement évocateur, en accord avec le caractère dépaysant et l’atmosphère nonchalante des épisodes.

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Monsieur Pigeon (Georges Dumoulin) débarque à Tahiti suite à un message posthume de son père, ancien officier de marine, lui enjoignant de retrouver Turia, une vahiné qui lui était chère, qui aurait gardé une cantine contenant un tableau de Paul Gauguin, œuvre que doit récupérer le fils de famille, au moyen d’une clef que lui confie son notaire, Maître Finaux. Pigeon est un professeur de dessin qui a obtenu d’être muté à Tahiti. Sur place, il rencontre ses futurs élèves, en particulier une joyeuse bande composée de Téva, Aldo (Franky Norman), les facétieux jumeaux Pure et Rupe ainsi que la petite Mareva (Marceline Tapare). Pigeon découvre, guidé par Téva, les différents aspects du mode de vie tahitien, rencontre une charmante demoiselle dont il s’éprend, Vahinerii (Touria Mau) et part à la recherche de la cantine en se rendant en goélette aux îles Marquises, via les Tuamotu. Mais il est suivi à la trace par Damoclès (Christian Buisson), un individu sans scrupules qui convoite avidement le tableau.

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Damoclès est un personnage comique, dont le physique évoque vaguement Telly Savalas. S’il est le méchant de l’histoire, il est surtout bête et maladroit et n’apparaît jamais véritablement comme un adversaire dangereux pour Pigeon et les enfants qui le suivent partout dans ses pérégrinations. Damoclès, qui reçoit les ordres d’un mystérieux Achille demeuré en métropole, sera bientôt rejoint par la fille de ce dernier, Florence, une étudiante attardée en philo qui a bien du mal à s’acclimater à la vie polynésienne (elle est interprétée Michèle de Chazeau). Auparavant, il s’est offert les services d’une intrigante chinoise, chargée de séduire Pigeon pour mieux l’espionner.

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Aux Marquises, le prof de dessin ne rencontre pas Turia mais retrouve la cantine qui, à défaut de contenir la toile de Gauguin, recèle, outre le carnet personnel de son père rempli de notes instructives, une plaquette comportant l’inscription « d’où venons-nous? » ainsi qu’un dessin énigmatique (un poisson stylisé et un rond). C’est le début d’un jeu de piste riche en péripéties devant mener Pigeon et ses amis, par une succession d’indices cryptiques, jusqu’au tableau tant recherché. Damoclès, de son côté, multiplie les manigances pour doubler ses rivaux et ralentir leur progression, mais trouve un adversaire de taille en la personne de Téva, bien plus malin que lui et qui parvient toujours à contrecarrer ses plans en le ridiculisant.

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Toute cette histoire est relatée par Georges de Caunes, dont les commentaires en voix-off sont particulièrement inspirés: décontractés et plein d’humour, adoptant un ton décalé, ils peuvent aussi être à l’occasion poétiques et partir dans des envolées lyriques. Le résumé des épisodes précédents, passage fastidieux dans la plupart des séries, est ici d’une rafraichissante drôlerie. D’autre part, le côté ingénu, l’atmosphère bon enfant du feuilleton et le goût prononcé de ses concepteurs pour l’insolite et la fantaisie contribuent à rendre l’ensemble assez savoureux. Les décors naturels judicieusement exploités ne gâtent rien. Cependant, tout n’est pas parfait: l’intrigue principale évolue avec nonchalance, progressant à une allure de tortue pendant quelques épisodes, tandis que certains acteurs  secondaires, visiblement peu exercés, débitent leur texte d’une voix inexpressive. Mais, malgré ces petites réserves, c’est une fiction globalement délectable et souvent très informative.

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Ainsi, on découvre brièvement les embarcations typiques de Polynésie: les pirogues à balancier au maniement hasardeux pour les novices ou encore les bonitiers (bateaux de pêche traditionnel dont on voit dans la série la construction artisanale). On assiste au rituel de la pêche au caillou, où l’on frappe la surface de l’eau à l’aide de pierres attachées à une corde, en vue de rabattre les poissons vers des filets avant de les harponner. On est initié à la gastronomie des îles, en particulier le tamara’a, le repas communautaire où l’on mange avec les doigts des plats cuisinés au lait de coco sur une table garnie de feuilles de bananier. On visite des lieux chers aux touristes: l’aéroport Fa’a’ā, la splendide baie de Cook de l’île de Moorea, la tombe de Gauguin aux Marquises, l’hippodrome (rustique à l’époque) de Pirae, le musée Gauguin d Tahiti (actuellement fermé au public pour rénovations)…On apprend quelques bribes de vocabulaire tahitien tels que le faré (maison), le mutoï (agent de police), le popaa (un européen ou un américain) ou encore le toupapaou (esprit des morts). J’ai noté par ailleurs une expression curieuse: « baigner la rivière » (qui signifie se baigner dans les cours d’eau à l’intérieur des terres).

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L’histoire de Tahiti n’est évoquée que de façon succincte: il y a quelques allusions à la reine Pomaré la Grande ou, concernant un passé plus récent, à l’implantation d’une importante population chinoise, main d’œuvre chargée d’acclimater la canne à sucre (sans succès) à ces latitudes et restée dans l’île depuis des générations (ils ont leur quartier  Papeete). Plus notable est l’apparition dans la série de quelques personnalités locales: Gaston Flosse, alors maire de Pirae, est cité en tant que propriétaire de chevaux de course (mais n’est pas présent à l’écran); Tea Hirshon (membre de l’assemblée de Polynésie) fait une brève prestation dans le rôle d’une pinup américaine qui porte secours à Téva en le sauvant de la noyade; le conservateur du musée Gauguin n’est autre que Pierre Heyman, peintre à la vie mouvementée comme le narre cet article.

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D’autres éléments, comme les classiques démonstrations de tamouré au son des ukulélés, donnent un cachet authentique à la série, cependant l’évocation des croyances s’avère l’aspect le plus singulier et typiquement polynésien du feuilleton. Les légendes liées aux toupapaous, leurs pouvoirs démesurés ainsi que les moyens de faire face à ces créatures de l’au-delà sont abordés avec une touche de scepticisme, témoignant des peurs superstitieuses de certains iliens. Lors du dernier épisode, un passage se déroule dans un marae, sanctuaire à ciel ouvert délimité par des pierres volcaniques et entouré de tikis,  sculptures anthropomorphes au pouvoir protecteur représentant un mythique demi-dieu originel. Un autre extrait révèle que l’origine mystique du langage humain se trouve dans les cris des oiseaux.  Ces développements laissent entrevoir les pratiques cultuelles si particulières des polynésiens et la survivance de rites ancestraux.

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Le personnage de Téva est vraiment le plus étonnant du feuilleton. Il sait tout faire: plonger en apnée pour visiter des épaves sous-marines, monter à cru un cheval de course, pratiquer le ski nautique avec une aisance souveraine, manier habilement toutes les embarcations, réparer des appareils électriques et même apprivoiser les requins (certes, des spécimens miniatures, mais tout de même!) Il vit en communion avec la nature et les coutumes tahitiennes ne semblent avoir aucun secret pour lui, malgré son jeune âge. C’est un héros un peu improbable, mais la série ne cherche pas à conter une histoire réaliste, préférant la fantaisie et l’humour débridé. A cet égard, on se souviendra des péripéties de Damoclès en quête d’un bocal de cornichons (il faut voir la série pour comprendre l’allusion), ou le numéro de celui-ci, déguisé nuitamment en fantôme pour effrayer ses adversaires, dans une séquence évoquant irrésistiblement les films muets d’épouvante. En définitive, c’est cet aspect excentrique, plus encore que le côté carte postale exotique qui donne un certain charme au feuilleton. Gageons qu’une rediffusion (de préférence en couleur), tout en ne nuisant pas au tourisme outre-mer, ravirait bien des téléspectateurs d’aujourd’hui.

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