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Aujourd’hui, je vous propose de faire un bond dans le passé et de nous pencher sur une vieux feuilleton de la RTF (quelques années avant l’ORTF) à destination de la jeunesse. C’est une production en 13 épisodes de près de 25 minutes. La réalisation est de Jean Bacqué et le scénario signé André Poirier. Il s’agit d’un récit d’aventures fantaisiste, une chasse au trésor à travers Paris et sa région avec en vedette Achille Zavatta. C’est à ma connaissance la seule série télé où l’artiste de cirque a tenu le rôle principal (il a fait par ailleurs quelques apparitions remarquées sur le petit écran, je me souviens en particulier de ses contributions à Nick Verlaine ou  Comment voler la tour Eiffel, une série hautement loufoque des années 70, adaptation libre des exploits de Nick Velvet écrits par Edward D. Hoch). Le trésor des 13 maisons est disponible sur le site de l’INA, mais est bien oublié de nos jours, comme en témoigne le nombre peu élevé de visionnage des épisodes en ligne (mais on peut en dire autant de bien d’autres séries françaises consultables sur ce site, qui ne totalisent pas plus de quelques centaines de vues). Ce fut cependant pour moi un  divertissement rétro très sympathique.

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Certes, la musique du générique a mal vieilli et l’humour est parfois bien puéril mais l’intrigue réserve de nombreuses surprises et l’ensemble est une véritable capsule temporelle, montrant la capitale telle qu’elle était au début des années 60. A l’époque, il faut croire que ce fut un franc succès car la série a fait l’objet d’une adaptation sous forme de bande dessinée, parue dans la revue Jeunesse joyeuse (magazine où figurait les aventures de Bibi Fricotin). Le pitch est simple. Deux enfants, Mimi (Sylviane Margolle) et Roger (Patrick Lemaître) récupèrent une bouteille dérivant sur la Seine, dans laquelle un bateau à voile est enfermé. La maquette du voilier renferme le testament du marquis de la Paillerie, qui vécut sur l’île Bourbon avant la Révolution: le document stipule qu’un trésor (un coffre plein de bijoux et pierres précieuses) est caché dans un mur d’une de ses propriétés, identifiable grâce au blason familial qui s’y trouve apposé. Les deux môme se lancent dès lors à la recherche du magot, aidés par Cristobal Cabourasse, dit Cristo (Achille Zavatta), l’éclusier de la Bastille, qu’ils rencontrèrent après avoir subtilisé la barque de ce dernier, pour repêcher la mystérieuse bouteille dans le fleuve.

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Retrouver le trésor est une tâche qui s’avère vite ardue. Il leur faut d’abord recenser toutes les maisons ayant appartenu au marquis et récolter pour cela de la documentation auprès des bouquinistes des quais de la Seine. De plus, les 13 maisons identifiées ne sont pas toutes accessibles facilement, elles contiennent pour la plupart un mur orné du fameux blason mais pas de pactole pour autant. Pour ne rien arranger, un duo de malfrats composé de deux jumeaux belliqueux a appris en les espionnant l’existence du trésor et les suit à la trace, bien décidés à leur mettre des bâtons dans les roues et à les doubler. Ils sont interprétés par Pascal André et Dominique Felix, deux chanteurs de variétés corses. Les jumeaux sont aussi bêtes que méchants et fréquemment ridiculisés par nos trois héros (même lorsqu’ils kidnappent Mimi et Roger et menacent de leur faire subir des sévices improbables s’ils refusent de parler, ils finissent par être victimes de leurs propres engins de torture).

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Cette chasse au trésor apparaît vite comme un prétexte pour visiter des lieux emblématiques de Paris et des alentours et surtout pour permettre à Achille Zavatta de multiplier les pitreries et de faire la démonstration de ses nombreux talents. Le feuilleton est essentiellement le show Zavatta, que l’on retrouve dans nombre de situations inattendues, faisant aussi bien de la voltige équestre, du ski nautique (sur l’eau comme sur berge), du motocross, du cyclisme acrobatique (en descendant les escaliers de la tour Eiffel), de la boxe contre plus fort que lui (avec un soupçon de tricherie), du cinéma (où il interprète brièvement Tarzan sautant de liane en liane), de l’escrime (provoqué en duel lors d’une visite à un bal masqué). Le clown endosse divers rôles au fil des épisodes, qui sont autant de couvertures pour pouvoir visiter les demeures du marquis: il est tour à tour domestique d’une maison bourgeoise, caïd de la pègre corse, touriste écossais en tenue traditionnelle (avec kilt) ou encore apprenti écuyer.

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Les épisodes sont variés et réservent bien des caméos faisant intervenir des personnalités plus ou moins célèbres de l’époque (et pour quelques unes, connues aujourd’hui encore, à l’instar de Paul Préboist dans le rôle d’un agent de police un peu benêt). Si certains chapitres sont légèrement trop farfelus à mon goût (en particulier le troisième, Les secrets de la jungle, qui se situe dans la forêt d’Ermenonville, où le trio est pourchassé par des grands singes et par un mystérieux archer), la plupart font preuve d’une fantaisie un brin naïve mais réjouissante. Seul contre tous a pour cadre la Foire du Trône, où Cristo s’essaie à la boxe pour gagner de l’argent, le combat étant arbitré par Serge Sauvion (le célèbre doubleur de Columbo), voit l’éclusier en mauvaise posture mais sauvé in extrémis par un produit miracle bien connu des bédéphiles (plus tôt dans la série, lors de la visite du commissariat, on trouve d’ailleurs une autre référence à la BD, plus précisément aux Dupond et Dupont). Sur la piste des jumeaux se déroule comme une parodie de film noir, avec une fusillade dans un bar louche, un gang de malfrats, sans oublier la présence d’une femme fatale. A noter l’apparition du guitariste corse et ancien boxeur Mimi Bonnin, mort très jeune. L’épisode s’achève par des scènes comiques de poursuite, relevant du pur slapstick et évoquant irrésistiblement le cinéma muet.

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La maison au fond du parc consiste en une visite du château de Versailles et plus particulièrement d’un pavillon aux alentours où le trio rencontre un inquiétant alchimiste, prestidigitateur et hypnotiseur interprété par Jean-Roger Caussimon, qui pratique quelques tours à leurs dépens. Franchement, les effets spéciaux sont risibles mais Caussimon est très convaincant dans ce rôle qui évoque le mythique Cagliostro. L’épisode s’achève par une scène surprenante, l’interprétation par Cristo d’une chanson nostalgique en s’accompagnant à la harpe (écrite par André Poirier, tout comme une autre ritournelle, Le turfiste, dans un précédent épisode, entonnée cette fois par les jumeaux). La voiture infernale, où l’on visite l’atelier d’un garagiste, permet de voir une belle collection de véhicules vintage et rend hommage au surréalisme avec l’acquisition par Cristo d’une bagnole avec des phares affublés d’yeux peints et animés d’un mouvement propre. Outre une poursuite rocambolesque, l’épisode fait un clin d’œil appuyé à la peinture classique lors d’un plan fixe où tout le monde aura reconnu L’Angélus de Millet.

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Au début de cet épisode, les compère prennent le métro, ce qui nous permet de découvrir les réclames de l’époque et leur donne l’occasion de croiser Serge Gainsbourg, qui sans surprise leur interprète Le poinçonneur des Lilas. Cependant, j’avoue avoir un doute sur la présence réelle du chanteur à l’écran: on ne le voit dialoguer avec Cristo que de dos (seules les oreilles décollées permettent de l’identifier) et lorsqu’il chante, les images ressemblent beaucoup au Scopitone filmé in situ à l’époque. Le fait que le nom de Gainsbourg ne figure pas au générique de fin tendrait à démontrer qu’il n’a pas vraiment joué dans le feuilleton, mais ce n’est que supposition de ma part.

L’amiral a jeté l’ancre est un épisode atypique car Mimi et Roger n’y sont que peu présents, retenus chez eux par leurs parents. Cristo y visite le quartier de Montmartre et rencontre un peintre abstrait, joué par Jean Gras (que ceux qui ont vu Thierry la Fronde se souviennent sans doute). La qualité artistique du tableau laisse Cristo de glace mais il n’hésite pas à remplacer le barbouilleur, le temps d’arnaquer une passante crédule en se faisant passer pour un créateur visionnaire. Après avoir tourné gentiment en dérision les peintres bohème de Montmartre,  l’éclusier rencontre un ancien compagnon de marine (joué par Fred Bretonnière, le tenancier d’un fameux cabaret du coin, dont on visite l’intérieur à la décoration étonnante) et évoque avec lui ses souvenirs des îles polynésiennes (le flashback avec les vahinés est plaisant, mais le décor champêtre de la scène n’est pas du tout exotique!).

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Le mystère du Louvre, outre un passage express au musée, nous fait visiter l’écurie des Sablons à Neuilly (prétexte à mettre en valeur les aptitudes de cavalier de Zavatta) et propose deux scènes marquantes: la rencontre avec un oiseleur radiesthésiste joué par Robert le Fort et un voyage en bus où Cristo s’improvise guide touristique, livrant un laïus particulièrement confus. Les épisodes suivants multiplient les péripéties absurdes (l’intervention d’une patrouille de scouts m’a laissé perplexe, tout comme la chasse à courre à laquelle participe un Cristo travesti en demoiselle), toutefois Le bal des escrimeurs  a quelques guest stars dont beaucoup (parmi les plus anciens) se souviennent encore de nos jours: l’humoriste Pierre Rep dans le rôle d’un professeur de langage mondain ainsi que le cascadeur et maître d’armes Claude Carliez grimé en mousquetaire. Ce dernier fait une belle prestation de bretteur dans une scène digne d’un film de cape et d’épée.

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Au cours des 13 épisodes, l’intrigue part dans tous les sens et la série se résume souvent à une succession de saynètes drôlatiques (utilisant parfois des gags éculés, comme la tarte à la crème) mais les deux dernières parties  se caractérisent par un plus grand soin apporté au scénario, avec, outre les derniers rebondissements de la chasse au trésor, l’histoire d’une arnaque prévue lors de la vente d’une pierre précieuse dérobée. Les caméos sont toujours présents (en particulier, on découvre Jean Yanne dans le rôle du père Noël) ainsi que les excentricités (un duel sur les toits avec  des antennes de télé en guise d’armes blanches),  tandis que Sylviane Margolle effectue quelques entrechats sur la scène du théâtre des Nations (rebaptisé depuis Théâtre de la Ville). Cependant, lors du final, les clowneries passent au second plan au profit d’une conclusion assez émouvante.

Ce feuilleton est il est vrai très éloigné de ce que je regarde habituellement, mais il est bon de retomber en enfance de temps en temps (certes, je n’étais pas né lors de la diffusion initiale). Si vous appréciez l’humour d’Achille Zavatta, nul doute que vous serez emballé par Cristo. Certains de ces vieux programmes  témoignent selon moi d’une fantaisie, d’un goût de l’insolite que l’on retrouve trop rarement sur nos chaînes françaises actuelles. Si vous partagez ce constat, il est possible que cette balade rétro dans le Paris d’il y a plus de cinquante ans constitue pour vous une plaisante récréation.

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